PARTie 5
LA SAGA DES FINE YOUNG CAPITALISTS
Faisons un saut en arrière, à une époque plus tranquille. Alors que les journalistes de jeu vidéo et leurs lecteurs n'étaient encore qu'au milieu d'un conflit léger, que les uns avaient pour les autres une méfiance passagère et un petit dégoût. C'est de cette ambiance que sortit un événement aussi incongru qu'inimaginable. Les Fine Young Capitalists est un groupe d'entrepreneurs avec une problématique : à leurs yeux, plusieurs femmes avaient les idées pour produire un excellent jeu vidéo. Ils décidèrent d'y répondre non pas en créant une série de vidéos ou en écrivant à ce sujet, mais en permettant directement à une femme de faire son jeu. Ils lancèrent une campagne Indiegogo pour financer un projet. Les femmes pouvaient présenter leur idées, une communité sélectionnerait une gagnante et TFYC les aideraient dans la création de ce jeu. Elle recevrait 8 % des bénéfices et le reste serait envoyé à une œuvre de charité. Cette initiative visant à soutenir des femmes n'ayant aucun moyen pour produire leur jeu pour les inviter dans cette industrie n'aurait dû soulever aucune critique.
En apparence. Mais certains y voyaient un problème. Et pas ces mecs gamers du club anti-égalité, mais une opposition différente. Cherchant à obtenir le soutien de développeurs pour la création de ce jeu, TFYC se dirigea vers Zoe Quinn. D'abord intéressée, elle critiqua alors la notion de travailler pro bono. TFYC répondit que c'était pour en faire une œuvre charitative avant tout. Quinn décida alors de cesser de leur offrir son soutien, cette fois pour une autre raison : d'après elle, TFYC était transphobe. Une lourde accusation contre une récolte de dons charitatifs permettant à des femmes de créer leur jeu. Quelle était leur vision à ce sujet ?

La participante doit s'autoidentifier comme femme avant le 11 Mars 2014.
Ainsi, si vous habitez un pays ne permettant aucune identification officialisant le genre dans lequel vous vous reconnaissez, votre participation reste possible. Ainsi, si vous n'avez toujours eu aucune opération chirurgicale de changement de sexe, ou si vous n'en avez pas l'intention, votre participation reste possible. Et ainsi, vous restez la seule et unique personne pouvant déterminer votre identité en tant qu'homme ou en tant que femme.
Notre opinion quant à ce qui fait de quelqu'un un homme ou une femme reste entièrement sans importance à ce sujet."
De nouveau, nul besoin de romancer la chose. A vous de déterminer si ce règlement est en effet discriminatoire envers la population transsexuelle, ou s'il pouvait empêcher quiconque de simplement se présenter en tant que femme pour participer. Mais prenons un peu de recul. Quinn a parfaitement le droit d'y lire ce qu'elle veut et de refuser de travailler dans cette entreprise. J'ajouterai que ma comparaison à l'archiduc François-Ferdinand concernait Quinn, donc pourquoi la refaire paraître sur le devant de la scène si elle n'est pas centrale au GamerGate ? Voyez-vous, elle et sa responsable des relations publiques affichèrent sur twitter les informations personnelles de leur contact au sein de TFYC. Au-delà du torrent de mails qu'ils reçurent, ils virent leur campagne attaquée et piratée, se voyant forcés de l'abandonner et d'oublier les fonds qu'ils avaient pu amasser.
Néanmoins, l'histoire des TFYC ne prit pas fin. Ils découvrirent en plus de tout ça que de nombreux sites de jeu vidéo renommés les avaient blacklistés. La raison d'un tel choix, à votre avis ? Leur réputation de transphobes. Malgré leurs réfutations, on les incita à faire un don au Rebel Game Jam de Quinn. Et à chaque tentative pour présenter leur version des faits, ils furent accueillis par de l'indifférence profonde.
Dans une interview avec APG Nation, les membres des Fine Young Capitalists s'expliquent :
"Jason Schreier de Kotaku nous contacta lors du piratage de notre IndieGogo le 25 Août. A l'époque, nous pensions juste que Zoe s'était méprise quand au règlement sur notre site, et il nous demanda de rédiger un article présentant l'affaire et ses problèmes, en expliquant que Zoe ne l'avait simplement pas compris. Nous espérions remettre les choses en ordre quant à cette affaire, mais, de nouveau, l'article ne fut jamais mis en ligne."
Dans une interview avec APG Nation, les membres des Fine Young Capitalists s'expliquent :
"Jason Schreier de Kotaku nous contacta lors du piratage de notre IndieGogo le 25 Août. A l'époque, nous pensions juste que Zoe s'était méprise quand au règlement sur notre site, et il nous demanda de rédiger un article présentant l'affaire et ses problèmes, en expliquant que Zoe ne l'avait simplement pas compris. Nous espérions remettre les choses en ordre quant à cette affaire, mais, de nouveau, l'article ne fut jamais mis en ligne."
Le post sur Reddit ci-dessus servit, à terme, à la victoire de leur campagne. Lorsque le board /v/ ("video games") sur 4chan découvrit que celle qui éprouvait pour eux tant de dédain avait encouragé la démolition de cette action charitative, ils y virent la parfaite contre-attaque. Ces hyper-consommateurs chouineurs soutiendraient cette œuvre. Personne, avant toute cette histoire, n'aurait imaginé que les visiteurs de /v/ soutiendraient une campagne féministe à hauteur de 40000$, encore moins ces mêmes visiteurs. La somme qu'ils versèrent fut si immense, d'ailleurs, qu'ils furent invités à insérer le personnage de leur choix dans le jeu. Un personnage bien évidemment féminin, hyper-sexualisé, servant de piètre trophée à fantasmes pour phallocrate, non ?

Vivian James, simplification de "vidya games" (code pour "jeux vidéo" sur le board), fut le fruit de leur travail. Couverte de névroses, de frustrations, de crispation. Crispée, mais pas misogyne. TFYC accepta le design et Vivian sera donc un personnage du jeu en développement. Comme on aurait pu s'y attendre, ceux qui se désintéressaient de toute cette affaire exprimèrent combien accepter de l'argent de 4chan était honteux, vu leur "anti-féminisme historique". Se heurtant à d'autant plus de méfiants, elle s'expliqua en décrivant que laisser 4chan se joindre à eux était bénéfique, leur permettant de prendre part à une conversation à laquelle ils étaient si souvent étrangers. Si 4chan et de nombreux féministes sont entrés en conflit bien souvent, c'est bien une preuve du pouvoir du jeu vidéo pour unir des gens pourtant si opposés. Imaginer que 4chan serait incapable de créer un personnage féminin positif pour le bien d'un jeu et imaginer qu'une femme ne peut pas développer de jeu vidéo n'est que folie. Le projet tendait à prouver que rien n'était impossible, et l'établit de façon encore plus impressionnante qu'on n'eût pu l'imaginer. Tout cela aide à démontrer que GamerGate n'a jamais été à propos d'une haine des femmes. Et c'est ce qui explique une telle force contre des membres de l'industrie vidéoludique affirmant promouvoir toutes formes d'ouverture pour ensuite rejeter une large part de leur public. Un problème dû à cette trop grande proximité entre l'industrie et ceux qui la rapportent. Deux groupes s'opposaient, les journalistes défendant l'un des deux. De nouveau, Zoe Quinn et son idée de ce que l'organisation était transphobe sont négligeables. Le sujet concerne des média rendus incapables et incompétents par leurs liens avec ceux qu'ils mettent en avant. Quinn fait partie de ce récit non pas pour la rendre haïssable, elle comme n'importe quelle autre femme, mais pour montrer l'importance d'une distance déontologique et les conséquences de son absence.